16 décembre 2006

Prêt à penser



"Exporting books makes money" (Exporter des livres est très rentable) m'assure Lam, une fille rencontrée dans un train, sur le chemin de Hong Kong. Cette Chinoise fraichement diplômée n'a jamais exporté un bouquin de sa vie, mais à ces mots son visage s'illumine et son regard jubile. Elle y croit et elle se fait rêver. Cette recette de la richesse en quatre mots m'évoque deux points marquants de la culture chinoise.



Il y a bien sur cet attrait pour l'argent. L'argent à tout prix, devenir riche, acheter sa maison et montrer sa voiture, s'habiller chez Armani en exhibant son Chanel, posséder et faire envie aux autres. Le rêve, l'aboutissement. Depuis que Den Xiaoping a décrété qu'il était bon de s'enrichir et que le parti a progressivement autorisé l'enrichissement personnel, la Chine met tout en œuvre pour rattraper son retard et rêve de ressembler à l'Occident. David Li, professeur de macro-économie, appelle cela la 'do what you do attitude', l'attitude 'je fais ce que tu fais'. Je copie l'Occident.

'Do what you do attitude': la crème Nivea qui blanchit la peau…

L'immaturité de la société chinoise face à l'expertise sans équivalent de l'Occident pour savoir faire crever d'envie de ressembler à ses icones explique peut être ce comportement, mais il existe aussi des raisons endogènes au pays. Le fonctionnement même du parti communiste manifeste un encouragement à l'enrichissement du pays, par exemple en indexant les rétributions de chaque cadre sur la hausse du PIB observée dans la région dont il est responsable. On obtient les résultats de ce que l'on mesure...






Dans la phrase de Lam, je vois surtout cette façon récurrente de se référer à des principes érigés en vérités inébranlables sans les soumettre à la moindre critique. Pendant ses études de commerce, cette fille a appris consciencieusement la règle qu'elle m'expose, on imagine d'ailleurs assez bien la liste des activités rentables distribuée aux élèves et à apprendre par cœur. La société Chinoise raffole de ces principes-vérités. Sortis de leur contexte de départ, ils sont appliqués en toute situation : boire de l'eau froide quand on a chaud est mauvais pour la santé, traverser ce pont rallonge la vie de trois jours, les Parisiens sont très romantiques, lever le coude plus haut que la main lorsque l'on boit du thé garantit la fortune (de qui ?), les japonais sont méchants, le chiffre 4 porte malheur. La Chine baigne dans l'obscurantisme et s'englue dans ces croyances que personne ne conteste.

Absence de religion, de système de valeur cohérent, de philosophie éclairée, travail du parti pour annihiler les esprits critiques: De nombreux facteurs sont invoqués et s'associent pour expliquer pourquoi la vie des Chinois est envahie par ce mélange d'idées irrationnelles et de superstitions. J'en développerai deux ici.

Il y a d'abord le Taoïsme. Dans cette doctrine philosophique qui a profondément marqué l'histoire du pays, les principes sont énoncés et appris par cœur. 'Laozi a dit' mais ne laisse pas place à la réflexion et à l'interprétation. On ne cherche pas à extraire le sens profond du texte, on ne discute pas pour trouver l'abstraction qui se cache derrière ces mots. Remplaçant le bréviaire du Laozi par le petit livre rouge, Mao semblait d'ailleurs avoir bien compris les vertus de ce système pour endoctriner son peuple pendant la révolution culturelle.

Il y a ensuite le système d'écriture Chinois. 40'000 caractères à apprendre. 12 années de mémorisation, de répétition et de copie pour tous les écoliers de Chine du CP à la terminale. On comprend aisément que le temps investi à ingurgiter cet océan de signes ne l'est pas à étudier des textes, à comprendre des concepts ou à décortiquer des raisonnements. La tête remplie de caractères, les bacheliers chinois sont les champions de la copie mais les lanternes rouges de l'analyse. Au passage, on perçoit un début d'explication à l'origine du fléau de la copie de produits et du non-respect de la propriété intellectuelle dans le pays.




océan de caractères...

On lit souvent dans la presse que les entreprises chinoises manquent de manageurs efficaces. De ce que je comprends à ce jour, c'est bien cette habitude de recevoir une pensée toute faite qui affecte le bon sens, l'initiative et le pragmatisme des chinois.

4 commentaires:

Anonyme a dit…

Hello le nouveau Sun Tzu !
il semblerait que cette propension à manquer de sens critique s'est étendue à de nombreux autres personnes que les chinois, y compris en France, toute éblouie de Ségolènomania ou de Sarkozymania...
Heureusement qu'il reste des Gabriel's rebels....le cerveau en action.
bon courage !

Anonyme a dit…

Gai Boa,
j'ai l'impression que tu fais le lien entre charactères chinois et (in)capacité d'analyse un peu trop rapidement. C'est vrai qu'apprendre des charactères prend tu temps, mais je crois que si le chinois ne se "mouillent" pas à analyser ou donner leurs avis c'est parce que personne ne leur demande (permet) de le faire, comme il se passe dans bien dautre endroit dans le monde avec des charactères phonétiques.

Gab a dit…

Ailati,
Je comprends ta remarque, attribuer le manque de sens critique des chinois uniquement à leur mode d'écriture serait un raccourci facile. C'est bien un ensemble de facteurs qui est à l'origine de ce comportement, et le totalitarisme du gouvernement chinois antidémocratiques en est certainement le plus flagrant aujourd'hui.

La responsabilité du système d'écriture n'est pas aussi évidente à première vue, celui-ci a néanmoins marqué toutes les générations depuis 3500 ans. Peut on le négliger?

Anonyme a dit…

Sur l'usage de la propriété intellectuelle, directement par les particuliers, voyez les infos publiées par un certain Didier FERET sur son site www.copyrightconsulting.com